Trust - Hal Hartley (1990)

Avec Trust, Hal Hartley, cinéaste emblématique du cinéma indépendant américain des années nonante, signe son film le plus ludique et décalé. Dans d'autres de ses films, The Unbelievable Truth et ensuite Simple Men, cet esprit et cette pâte cinématographique, propres au cinéaste et à contre courant des productions américaines de l'époque, sont également présents. Trust, cette oeuvre phare de Hartley, où foisonnent des scénettes colorées et incongrues, est en effet parsemé d'un lyrisme et d'une teinte joyeuse et loufoque, à l'image de ces personnages désaxés et perdus que sont Maria et Matthew, incarnés par Adrienne Shelly et Martin Donovan. Tous deux sont des romantiques écervelés, mal "chaussés" dans le monde contemporain de la télévision. "La télévision est l'opium des masses" dira Matthew, dandy romantique à la posture guindée et au regard grave, pourtant as de la machinerie, mais en quête d'une quiétude dont il ne connaît pas encore le nom : Maria, éternelle adolescente, enceinte, tiraillée entre sa mère et Matthew.

Torturés, fragiles, parfois à la limite d'imploser, Matthew et Maria regorgent pourtant de vie au travers de leurs paroles et de leurs actes. Quelque chose émane de leur présence d'acteur, de leur "jeu" qui les rend si vivants. En effet, Hal Hartley soumet ces comédiens professionnels, notamment Adrienne Shelly et Martin Donovan, à une "modélisation" sensible du jeu de l'acteur, d'inspiration "bressonienne". Le professionnalisme de l'acteur repose non pas sur la psychologie, mais sur une retenue du corps du personnage et de son esprit. Matthew et Maria restent ainsi de marbre, tandis que l'intensité monte au fil des séquences, entre humour, romantisme et drame.


Une parole assez monocorde, une absence de gestes brusques ou mécanisés du corps. Des voix d'hommes comme chez Kaurismäki, souvent basses en intensité et parfois graves. Et Hartley, refusant ainsi une approche psychologisante, délivre de la bouche de ces "acteurs" des dialogues souvent savoureux et jubilatoires. Un contraste saisissant apparaît entre la manière de parler et ce qui est dit, une alternance et une discontinuité narrative sont prégnantes dans l'échange entre les personnages, un décalage se produit entre l'extrême simplicité de la voix des acteurs et leur texte souvent profond. Et il semble que ce n'est pas tant ce qui est dit entre les êtres qui compte, que ce qui irradie, non sans comédie et panache, de leurs présences transparentes et fluides, de leurs regards charnels.

Maria d'une voix blanche dans une des plus belles scènes du film, définit l'amour comme étant la "compilation" du respect, de l'admiration et de la confiance. C'est à tout cela et à bien plus encore que nous invite Hal Hartley dans Trust, nous spectateurs, non pas tant à nous reconnaître, mais à savourer une fable contemporaine débridée et tordue au charme fou.