La chamade - Alain Cavalier (1968)

Avant de s’adonner à une forme de cinéma plus personnelle, plus minimaliste, Alain Cavalier a adapté un roman de Françoise Sagan en 1968. Film à la narration fluide et au charme immédiat, La chamade est le récit de la valse-hésitation amoureuse de Lucile entre Charles et Antoine.

Lucile (Catherine Deneuve), jeune femme frivole et dont la musique primesautière qu’elle écoute distraitement à la radio, en début de film, donne la mesure de la gaieté, forme un couple avec Charles (Michel Piccoli), un homme d’affaires bien introduit dans les cercles mondains parisiens. Lors d’une soirée, Lucile s’éprend d’Antoine (Roger Van Hool), le nouvel amant de Diane (Irène Tunc, la compagne d’Alain Cavalier, célébrée dans Irène), une amie du couple. Les après-midis suivants, l’appartement d’Antoine, dans les combles, abrite leurs ébats clandestins. Le soir, dans la belle société où tous ces personnages se rencontrent, Lucile fait mine de rien. Sommée par Antoine de choisir entre Charles et lui, Lucile, après bien des atermoiements, annonce à Charles qu’elle le quitte.

Antoine, Diane et Lucile : une comédie

Au travers d’une mise en scène légère et envolée, Alain Cavalier met en valeur l’insouciance de la vie de Lucile, insouciance zébrée de moments de gravité. Lucile suit sa trajectoire en toute spontanéité, en l’absence du moindre calcul. De l’autre côté, bien que frivole, elle assume ses choix. C’est là un très beau rôle de Catherine Deneuve, celui d’une femme libre et oisive avec, en toile de fond, la bourgeoisie de la fin des années soixante, que Sagan et Cavalier dépeignent avec attendrissement et lucidité.

Dans l’ensemble, Alain Cavalier fait la part belle aux visages, avantageusement éclairés et, plus encore qu’aux visages, aux regards des protagonistes, dont il fait un motif récurrent de La chamade. Certains moments clés du film ceux où, au milieu de la foule d’un théâtre, d’un restaurant ou encore d’une soirée, des regards muets sont jetés tour à tour par Lucile, Charles ou Antoine. Ce faisant, les amants se trahissent et se mettent à nu. C’est ainsi qu’à deux reprises, Charles parvient à déceler dans les yeux de Lucile le trouble qu’elle ressent à la vue d’Antoine. A la soirée donnée par Diane, le regard d’Antoine va de Lucile à Charles. Sans qu’un mot n’ait été prononcé, sa jalousie est exposée.

Lucile, ici mais ailleurs

Outre ce jeu de regards signifiants, d’autres éléments sont mis en valeur au gré du récit. Généralement, les sons sont ainsi comme étouffés : Alain Cavalier, sans crier gare mais avec une délicatesse infinie, se concentre sur la conversation des protagonistes et, en un tour de passe-passe, réduit le reste de la scène et le monde alentour à l’état de banalités. Cette méthode trouve son achèvement dans une scène où Lucile et Charles reviennent de soirée dans une automobile étrangement silencieuse, sous la pluie : leurs préoccupations et leurs aspirations, leurs pensées secrètes, sont exprimées en voix off, entremêlées de propos anodins qu’ils échangent, tandis que les essuie-glaces balaient le champ.

Cette mise en valeur des images et des sons, sur le plan formel, se conjugue avec les nombreuses ellipses qu’Alain Cavalier ménage tout le long du film. Concourant à la fluidité du récit, ces ellipses sont chaque fois subtilement annoncées, elles se trouvent à l’état de germe dans la scène qui les précède. Au début du film, devant le théâtre, Lucile, Charles, Antoine et leurs amis mondains devisent sur un banc. Troublée, Lucile n’a d’yeux que pour Antoine qui, de l’autre côté de la rue, commande des cigarettes au comptoir d’un bar. Ce regard coupable n’échappe pas à Charles, que l’on voit inquiet. La bande se rend ensuite au restaurant, et c’est alors que survient l’ellipse. Plus tard, on apprendra de la bouche de Charles que Lucile a pris soin de ne jamais regarder Antoine de la soirée, signe même de l’attraction amoureuse qui est en train de naître.

Lucile, hypnotisée

Ces quelques trouvailles constituent, il me semble, une belle ingéniosité de la part d’Alain Cavalier qui, s’emparant du roman éponyme de Françoise Sagan, parvient à en faire un véritable objet cinématographique.

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