Stromboli - Roberto Rossellini (1950)

Karen (Ingrid Bergman), Lituanienne d’origine, a dû quitter son pays en raison de l’occupation nazie. Elle se retrouve en Italie, dans le camp pour réfugiés de Farfa. En vue d’échapper à son triste sort, elle accepte la demande en mariage d’Antonio, un jeune soldat italien originaire de Stromboli, une petite île volcanique au large des côtes siciliennes.

Dès qu’elle pose le pied sur l’île, Karen est la proie d’une grande désillusion : Stromboli est à peu près désertée par le genre humain. Les pauvres hères qui y vivent aspirent pour la plupart à s’en échapper. L’île, surplombée par un volcan somnolent, menaçant, est noire et poussiéreuse. Le retour sur le continent s’avérant impossible, faute d’argent, Karen se résout provisoirement à son sort.

Karen est issue d’un autre milieu que celui de ces frustes pêcheurs, qui ne connaissent de monde que leur terre natale couverte de cendres. Son besoin de confort matériel contraste durement avec la simplicité et la précarité de la vie insulaire. Incapable de s’intégrer, elle se heurte à un obstacle après l’autre, et doit endurer, au quotidien, les regards et l’attitude hostiles des habitants de l’île. Ceux-ci n’éprouvent pas la moindre compassion pour une créature dont l’élégance et le comportement sont en décalage avec la morale stricte de leur société traditionnelle. L’ouverture d’esprit nécessaire pour s’ouvrir à l’altérité leur fait défaut. Karen, capricieuse et volage, refuse quant à elle d’adapter un tant soit peu son attitude aux standards de sa terre d’exil. Tous sont des pécheurs, à leur manière.


Film phare du néo-réalisme italien, dont les hérauts – Visconti, De Sica, pour ne citer qu’eux – ont essaimé en Italie aux alentours de la moitié du siècle dernier, Stromboli recèle de superbes plans, où l’authenticité, le réalisme des scènes de vie – singulièrement des activités de pêche au large des côtes de l’île – filmées par Rossellini le disputent à la poésie qui y affleure. « La mer, la mer, toujours recommencée » est, dans Stromboli, immense, qui dénie toute perspective heureuse aux habitants de l’île. Entretemps, les vagues érodent patiemment le rocher insulaire.

Ce qui est incroyable dans Stromboli, c’est la manière dont Rossellini prouve que le cinéma, dont l’axiome principal se résume pourtant en une reproduction fidèle, mécanique, du réel, peut exprimer une certaine transcendance à l’écran. Ceci se produit de la plus belle des manières à la fin du film.


Karen, qui porte l’enfant d’Antonio, n’en peut un jour plus de cette vie, et décide de rallier le continent. Dans le plus grand secret, elle gravit la montagne volcanique qui la sépare du port duquel elle pourra enfin quitter ce lieu inhospitalier. Au sommet de Stromboli, Karen, en plein désespoir, invoque Dieu et s’écroule de fatigue. Elle se réveille le lendemain et, changeant complètement de regard sur la nature qui l’entoure, lui trouve une beauté infinie. C’est précisément à cet instant que la pellicule exsude la transcendance et que, dans le changement d’attitude de Karen causé par l’intervention divine – que l’on devine, sans la voir –, l’extrait de l’Epître de Paul aux Romains, cité en ouverture du film, prend tout son sens : « Je me suis manifesté à ceux qui ne Me cherchaient pas. »

Autrement dit, pour évoquer l’idée de Dieu, Rossellini met en scène l’humanité après la Chute, là où d’autres cinéastes prennent le parti de représenter la divinité elle-même – It’s a Wonderful Life, de Frank Capra, où un ange apparaît à George Bailey (James Stewart) pour le sauver – ou le miracle – la résurrection dans Ordet, de Carl Theodor Dreyer –, ou encore de représenter la nature en tant qu'elle est habitée par la divinité – on pense tout spécialement à To the Wonder, de Terrence Malick.

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