The Master - Paul Thomas Anderson (2012)

Freddie, jeune vétéran, revient en Californie après avoir combattu dans le Pacifique. Traumatisé par la guerre, en proie à la solitude, instable, violent, alcoolique, il tente, sans succès, de se réinsérer dans la société. Dans sa fuite vers l'avant, de l'espace clos d'une chambre noire où il distille de l'alcool à sa course effrénée dans un champ qui semble infini - magnifique plan du film -, il finit par se calfeutrer dans un bateau qui prend le large vers New York. Freddie rencontre Lancaster Dodd, "the master", gourou manipulateur lunatique à la tête d'une secte dans la lignée de la scientologie. L'énigmatique et fragile Freddie, "objet" de la psychanalyse du master, ne tarde pas à être pris sous son aile.

Avec The Master, Paul Thomas Anderson réalise une œuvre aux multiples coupures narratives, bifurcations et moments d'arrêt, et où l'intensité dramatique en apparence peu présente, donne à voir et à sentir une mise en scène assez classique. A l'inverse de ce dernier film, Magnolia et There will be blood étaient des fresques dramatiques par trop boursouflées de lyrisme ou de montées d'adrénaline par climax, ce qui manquait sensiblement d'air, de fraîcheur, d'arrêts, d'accalmie, de détournements. En ne donnant pas la primauté à de grandes scènes dramatiques, mais en construisant son récit avec une certaine parcimonie, dans un souci d'une recherche de fluidité, The Master apparaît comme un tour de force dans la filmographie du réalisateur, aujourd'hui cinéaste emblématique du cinéma américain contemporain, aux côtés notamment d'un certain James Gray.




Il émane de certaines images du film une lumineuse et étrange beauté. Ainsi, un plan filmé en plongée de la mer où l'écume créée des formes circulaires par le mouvement du navire, provoque visuellement des sensations qui touchent à l'onirisme. La mer d'un bleu azur est renversante de beauté. Et à cette beauté du visuel se mêle celle, profonde, d'une peinture bleutée, du rêve, du mouvement. Un mouvement qui est ondulé, circulaire, instable à l'image de la trajectoire sinueuse et peu assurée de Freddie, pris dans des élans de violence ou d'abandon de son corps lors desquels son visage exprime sans cesse par les yeux, le regard, la bouche.

En effet, The Master, au delà de sa construction dramaturgique bien ciselée par là même qu'elle est désordonnée et parsemée de "trous", de "béances" narratives, est aussi et avant tout un film sur deux personnages, deux acteurs au sommet : Joaquin Phoenix incarne magistralement Freddie tandis que le regretté Philip Seymour Hoffman campe le rôle de l'intransigeant master, Lancaster Dodd. Le film se penche ainsi avant tout sur la rencontre et la relation entre ces deux personnages, et n'entend donc pas opérer une étude méticuleuse de la mouvance scientologique de l'après-guerre. Paul Thomas Anderson filme son couple d'acteurs dans des champs contre-champs desquels émane, de leurs échanges hypnotisants, une dimension proprement onirique, et une brèche s'ouvre sur le passé de Freddie, entre tension et émotion, stupeur et poésie imagée.

Nappé des compositions musicales très riches et obsédantes de Jonny Greenwood, entre rêve et réalité, Freddie avance, prend la fuite, les pieds sur terre ou au bord du vide, surplombant la mer, sans cligner des yeux.



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