Mustang - Deniz Gamze Ergüven (2015)

Dernier jour de l’année scolaire. À la sortie des classes, Sonay, Selma, Ece, Nor et leur plus jeune sœur Lale (la narratrice en voix off) se baignent dans la Méditerranée avec quelques garçons de leur école. Elles montent innocemment sur leurs épaules et se poussent dans l’eau. Aperçues et aussitôt dénoncées par une villageoise, elles sont accusées de s’être comportées de manière impure et sont vertement réprimandées par leur grand-mère et leur oncle (leurs parents sont décédés). Dorénavant, elles seront condamnées à rester cloitrées à la maison et à y être formées par leur grand-mère aux tâches domestiques, en vue de leur mariage forcé avec des garçons du village choisis pour elles.

Mustang a beaucoup été présenté comme le « Virgin Suicides turc ». Plus de quinze ans après la sortie du premier film de Sofia Coppola (1999), la réalisatrice turque Deniz Gamze Ergüven semble en effet marcher sur ses traces en nous contant l’histoire de cinq sœurs adolescentes que l’on enferme au nom de valeurs puritaines.

Dans Mustang, Lale, en voix off, commente les évènements auxquels assiste le spectateur. Ce récit subjectif, « de l’intérieur », invite le spectateur à pénétrer dans le monde des jeunes filles et dans l’esprit de la narratrice. Les pensées de ses sœurs restent toutefois, pour une grande part, inaccessibles. Si, dans leur prison domestique, les sœurs plaisantent, se taquinent, jouent, luttent ensemble, elles échangent peu sur leurs sentiments et leur vécu – que l’on tente de deviner en observant les expressions de leurs visages et leurs attitudes corporelles.


Une voix off avait également été utilisée dans The Virgin Suicides. Il ne s’agit pourtant pas du même procédé narratif. Dans le film de Sofia Coppola, la voix est celle d’un garçon parlant au nom des cinq amis qui, fascinés par les sœurs Lisbon, les épient puis les côtoient, et, à la fin du film, sont témoins malgré eux du suicide collectif de Lux, Bonnie, Mary et Therese. Cette voix off masculine raconte l’histoire du point de vue d’observateurs extérieurs, par bribes, relayant leurs interrogations. Elle contribue ainsi au caractère fantasmatique du film et au mystère entourant le suicide des jeunes sœurs.

Deniz Gamze Ergüven explore les différentes réactions adoptées face à la perte de liberté – alors que dans le film de Sofia Coppola, le suicide est la seule porte de sortie choisie par les sœurs Lisbon. Sonay fait mine de se plier à la tradition du mariage forcé alors qu’elle a contraint sa grand-mère à organiser celui-ci avec Ekin, le garçon qu’elle aime et qui est secrètement son petit ami. Selma subit en silence son mariage forcé avec un garçon qu’elle ne connaît pas et qui ne lui plaît pas. Ece se suicide d’un coup de révolver après s’être livrée au premier garçon venu. Lale apprend à conduire en cachette, et prépare en secret sa fuite vers Istanbul. Elle entraîne avec elle Nor, qui échappe ainsi à la dernière seconde au mariage forcé. Le film se finit donc sur une note d’espoir, là où The Virgin Suicides s’achevait sur une tragédie mystérieuse. Cette diversité est toutefois à double tranchant : si elle présente un intérêt certain et offre matière à réfléchir, les différentes réactions des filles sont tout de même assez convenues.


Malgré le caractère assez scolaire du scénario et un cadrage parfois décevant, Mustang est dans l’ensemble un beau film lumineux, coloré et plein de vie – notamment grâce à la prestance des cinq jeunes actrices, et la remarquable présence à l’écran de Güneş Nezihe Şensoy (Lale). Leurs rires, leurs larmes, leur charme et leur fraîcheur contribuent incontestablement à la réussite du film. Sur un plan plus politique, la dénonciation de la condition féminine dans certaines familles turques – et, par extension, dans de nombreuses régions du monde – est réalisée avec succès. Grâce au point de vue adopté par la caméra et au récit de Lale, le spectateur se sent concerné par l’insoutenable étau qui se referme peu à peu sur les héroïnes et se laisse gagner par leur envie de révolte.

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